« Les arts plastiques doivent permettre au spectateur de trouver ce qu’il veut, c’est-à-dire ce qu’il amène lui-même. Les œuvres d’art sont des coins à pique-nique, des auberges espagnoles où l’on consomme ce qu’on apporte soi-même ». *
François Morellet
Morellet aime Duchamp, citant à maintes reprises la déclaration de celui-ci : « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux ». Ma Galerie offre aux regards de ses spectateurs une quinzaine d’œuvres choisies par les propriétaires eux-mêmes de quatre collections particulières. L’initiative est accordée aux collectionneurs pour la sélection et aux spectateurs pour le sens à y trouver, Ma Galerie restant en cela dans la démarche d’interaction qu’elle s’est assignée depuis son exposition inaugurale Vos chefs-d’œuvre en 2012.
Les grands axes du travail de François Morellet sont ici représentés : les traits, les trames, les droites, les néons. Le vertige que crée la translation des repères orthonormées (Les 24 superpositions…1977, Deux Double Trames de grillage, 1972), l’imbrication des traits jusqu’au déséquilibre programmé (Trois Trames de tirets minces, 1977), la sollicitation extrême de la rétine (Pi Rococo n° 21, 2005, Sans titre, 1968) ; chaque œuvre exposée s’envisage dans une instabilité perceptive qui est règle inséparable de chacun de ces « petits systèmes ».
Morellet développe ainsi une cosmogonie conduite, selon Arnaud Pierre, « à partir d’éléments contrôlables en progressant suivant un programme ». L’automate cérébral qu’est devenu l’artiste s’efface volontairement devant cette abstraction cybernétique. La volonté et la subjectivité du créateur s’escamote pour laisser place à une esthétique du binaire (Tous les 15 cm, tous les 16 cm, 1974) et de la digitalisation (2 trames 2°-88°, 1959-1969).
Cependant, l’encodage systématique n’annule pas à l’humour qui transparaît partout dans le travail de François Morellet. Humour des titres mais aussi des œuvres elles-mêmes. On sait la passion de l’artiste pour les acrobaties linguistiques, comme les palindromes et les contrepèteries, qui signent le goût de l’astuce immiscé jusque dans les logiques arithmétiques. Le spectateur peut aussi s’égarer à la poésie en regardant les halots d’argon bleu de néon rouge qu’utilise Morellet pour abolir les limites du cadre de l’œuvre.
Samuel Le Paire Fine Art souhaite, à travers la sélection de ses collectionneurs, imposer les œuvres à la perception autant qu’elles s’y dérobent.
* In F. Morellet, Mais comment taire mes commentaires, Paris, Les Editions Beaux-arts de Paris, 2011.
